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vendredi 12 avril 2024

La mission spirituelle de la France. Par D. Blumenstihl-Roth

La mission spirituelle de la France 
Nous aimons la culture. La France se gausse d'être exemplaire en ce domaine. Mais de quelle culture parlons-nous ? 
Je m'interroge sur son état en apparence fastueux qui se complaît dans les prestiges de son glorieux passé, dans la légèreté de son art de vivre, son insouciance… Une forme de vacuité prétentieuse, peut-être de délabrement sous des marques grandiloquentes ? La France est-elle à la hauteur de sa vocation ? Avons-nous considéré suffisamment l'éducation, la littérature, la connaissance ? Avons-nous été assez français — universalistes — pour nous dire à la hauteur de ce que le destin attend de nous ? Se pourrait-il que nous vivions en deçà ou hors de notre destinée ? 
Comment nous résigner à n'être que des agents productifs, contribuant au bien-être collectif matériel par des cotisations sociales, consommateurs de biens et de services engraissant banques et assurances, citoyens angoissés quant à leur retraite future, abreuvés de 342 programmes télévisuels, connectés 24 heures sur 24 dans l'attente d'un appel qui ne vient jamais ? Quand l'essentiel vient à manquer — le minimum vital pour manger à sa faim —, quand l'attention à l'être se dissout, entraînant avec elle la dégradation de la dignité humaine, quand sont bafoués le droit à l'éducation, le droit au logement, le droit même de penser : alors survient en recours soit la violence, dans sa folie meurtrière, soit le droit à la folie quichottienne, suprême philosophie d'espérance. Pour ce qui me concerne, j'opte pour la démarche quichottienne. Ce n'est pas une attente, mais la mesure d'une action à mener, celle de participer à la mission dévolue à la terre et au peuple de Tzarfat. C'est-à-dire l'engagement par contrat d'alliance entre le territoire et sa vocation.
 
La France n'a de sens que dans la perspective du messianisme devant émerger d'elle sous conduction émanée du Sinaï. J'ai lâché le mot fatidique : « messianique ». La France le serait-elle ? Le messianisme est un mot qui fait rire ou trembler. 
En réalité, ce n'est rien d'autre qu'une position de l'esprit devant s'instaurer selon certaines règles et étapes. C'est une étape de la Révélation dont, sans aucun doute, Jésus est l'un des marqueurs, au sens où il ouvre un cycle vers l'Occident avec une visée sur l'universalité. Une étape, non l'aboutissement, qui reste à construire. Il serait absurde de minimiser son action symbolique donnant à voir, à travers sa mort, combien l'humanité est clouée sur la Croix. Sa crucifixion — supplice romain — est un symbole puissant qui s'est inscrit dans la mémoire du monde. Elle désigne l'humanité entière qui pourrait bien finir de la sorte si nous ne prenons garde. Il est donc temps de le décrocher, ce malheureux Christ-humanité, de passer à une étape suivante, post-religieuse, et désormais explicative, les religions étant des systèmes de codification symbolistes, dont le sens aujourd'hui échappe aux institutions qui voudraient les maintenir à tout prix. L'énergie propulse l'Histoire, pouvons-nous rester en-dehors du progrès qu'elle écrit ? 

Les temps post-religieux sont là
Le mot Tzarfat (France) a pour valeur numérique 770. Même valeur que « Tu t'étendras », Genèse 28 verset 14. La mission « Tu t'étendras » est en cours. En effet, le temps des religions se termine, mais non le temps de la Connaissance qui poursuit son chemin. Terminé, également, le temps de la science autoritaire, qui se croit seule à décider de la marche du monde, qui s'imagine porteuse de l'éthique et de la morale tout en écartant, au nom de la prétendue objectivité et liberté de recherche, tout ce qui limiterait son pouvoir. Ce qui s'étendra, c'est la Connaissance et plus singulièrement en France. Je parle de la Connaissance dégagée des rituels et symbolismes archaïques. La Connaissance actualisée, par-delà les formes crispées de l'adhésion religieuse, par-delà le dogmatisme scientifique. 
Le messianisme, étant post-religieux, asséchera le stade de la religiosité pure pour le remplacer par l'intelligence totale. D'où l'opposition des religions à ce que paradoxalement elles annoncent : l'émergence messianique. Les unes affirment que cette émergence serait déjà réalisée, ce qui leur garantit un statut d'éternité, plus rien ne pouvant les perturber. Les autres estiment que le messianisme est à venir… le plus tard possible, à la fin des temps, ce qui donne pas mal de marge pour en parler pourvu qu'il ne vienne jamais. Et voilà que survient le retour de l'intégrisme religieux. Expression du « retour archigénique » : en fin de cycle, il y a toujours un retour momentané à l'archigène fondateur. A l'opposé de ce « retour au type ancestral » que Nietzsche appelait « l'Eternel Retour » et qui ne dure qu'un temps, il s'opère une montée vers un cycle nouveau, une sortie culturelle de synthèse. Le messianisme est une « sortie ». La prophétie Obadia prévoit que cette émergence s'effectue dans l'aire géographique de l'Occident, territoire structurel d'élection pour le manifeste. La fonction du messianisme consiste dès lors à faire sortir — expliquer — le Code de la Vie. C'est le rôle de la France que dévoiler, faire connaître, faire sortir et donner à voir l'identité du motif d'universalité. C'est dans son nom : Tzarfat, et plus précisément dans la lettre Resch de son nom et dans la lettre Pé qui désigne la fonction de dire, de parler. Parler l'identité du motif d'universalité, sans jamais se départir du rail sinaïtique : assumer le Tzadé avec ses deux branches par quoi se réalise l'union entre Connaissance et Science. C'est l'esprit même de son territoire, de ses contradictions, que parvenir à unir les contraires, et reconduire vers la source la mise au clair qui en découle. 


A lire :

vendredi 8 mars 2024

Cervantès, Don Quichotte et les chats. Par Dominique Blumenstihl-Roth

 Seulement pour les vrais amis de Don Quichotte : Paru dans la revue IN VIVO ARTS :

Dominique BLUMENSTIHL-ROTH : 

Ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés…

 

RÉSUMÉ

L’étude  explore l’investissement animalier de la scène théâtrale au travers de trois grands auteurs du Siècle d’Or espagnol, qui se sont appréciés... et détestés : Cervantes — Don Quichotte — où chien, chat, cheval, cochons, lions et mulets portent un symbolisme exprimant les niveaux sémiologiques de l’expression ; Francisco Quevedo, auteur de Cabildo o la Consultacìon de los Gatos (la Consultation des chats), théâtre animalier anthropologique où les chats apprennent à imiter l’espèce humaine, miauler afin de réussir à dire Mio, c’est-à-dire moi ; Felix Lope de Vega, familier de l’Inquisition, possible inventeur du faux Quichotte signé Avellaneda et auteur d’un impitoyable Gatomaquia visant à réduire Cervantes au travers d’une mascarade cinglante. Partant de la physique quantique de Schroedinger, l’article ouvre le coffre d’où s’échappe un bestiaire théâtral qui pourrait effaroucher le lecteur, car comme le dit Cervantes : « ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés »...

MOTS-CLÉS : Cervantes, Quichotte, Quevedo, Lope de Vega, Avellaneda, Marranes.

 

Those who play with cats should expect to be scratched 

ABSTRACT

The study explores the animal investment of the theatrical scene through three great authors of the Spanish Golden Age, who appreciated and hated each other : Cervantes — Don Quixote — where dogs,cats, horses, pigs, lions and mules carry a symbolism expressing the semiological levels of expression ; Francisco Quevedo, author of Cabildo o la Consultacìon de los Gatos (the Consultation of the Cats), anthropological animal theater where cats learn to imitate the human species, meowing in order to succeed in saying Mio, that is to say me ; Felix Lope de Vega, close to the Inquisition, who possibly wrote the fake Quixote signed Avellaneda and author of a ruthless Gatomaquia aimed at reducing Cervantes through a scathing masquerade. Starting from quantum physics, the study opens the trunk from which escapes a theatrical bestiary which could well frighten the reader, because as Cervantes says : "those who play with cats must expect to be scratched"...

KEYWORDS : Cervantes, Quixote, Quevedo, Lope de Vega, Avellaneda, Marranos.

Ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés…

 

Ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés…

samedi 10 février 2024

Hommage à Sophie Scholl et Hans Scholl, héros de la résistance en Allemagne contre le nazisme

Hommage à Sophie Scholl et Hans Scholl

Le 22 février, commémoration et hommage à Sophie et Hans Scholl, héros de la Résistance contre le nazisme.

 

De 1942 à 1943, Hans et Sophie Scholl, avec leur ami Alexander Schmorell, jeunes étudiants à l'Université de Munich, au cœur de l'Allemagne nazie, ont construit un réseau de résistance avec des ramifications dans plusieurs villes.

Ils ont imprimé, échéances régulière, six tracts diffusés à des milliers d'exemplaires, appelant à l'insurrection contre le nazisme, au nom du respect des valeurs humaines, de l'éthique et des valeurs de l'esprit. Ils ont dénoncé les crimes contre les Juifs, les massacres, la politique négationiste : pour eux,  « on ne peut discuter d'esprit avec les nazis, pour la simple raison qu'ils en sont la négation. »

Bravant le régime totalitaire, d'un admirable et exemplaire courage, ils ont appelé à la conscience, dénoncé l'imposture nazie, qu'ils ont identifiée avec précision comme un régime d'inspiration satanique dont l'objectif était de mener l'humanité à sa déchéance. Ils préconisent, dès 1942, le renouveau d'une Allemagne démocratique et fédérale au cœur d'une Europe réconciliée.

Ils sont l'honneur de l'Allemagne et prouvent que tous les Allemands n'étaient pas complices. Arrêtés par la Gestapo en février 1943, exécutés le 22 février après un simulacre de procès, ils ont payé de leur vie leur extraordinaire courage.

D. Blumenstihl-Roth


Ecrits en 1942-1943

Nichts ist eines Kulturvolkes unwürdiger, als sich ohne Widerstand von einer verantwortungslosen und dunklen Trieben ergebenen Herrscherclique „regieren“ zu lassen.

Rien n’est plus indigne d’un peuple cultivé que de se laisser « gouverner » sans résistance par une clique dirigeante irresponsable et vouée à de sombres impulsions.

Jedes Wort, das aus Hitlers Munde kommt, ist Lüge: Wenn er Frieden sagt, meint er den Krieg, und wenn er in frevelhaftester Weise den Namen des Allmächtigen nennt, meint er die Macht des Bösen, den gefallenen Engel, den Satan. Sein Mund ist der stinkende Rachen der Hölle und seine Macht ist im Grunde verworfen. Wohl muß man mit rationalen Mitteln den Kampf wider den nationalsozialistischen Terrorstaat führen; wer aber heute noch an der realen Existenz der dämonischen Mächte zweifelt, hat den metaphysischen Hintergrund dieses Krieges bei weitem nicht begriffen. Hinter dem konkreten, hinter dem sinnlich Wahrnehmbaren, hinter allen sachlichen logischen Überlegungen, steht das Irrationale, d. i. der Kampf wider den Dämon, wider den Boten des Antichrists.

Chaque mot qui sort de la bouche d'Hitler est un mensonge : quand il dit paix, il veut dire guerre, et quand il mentionne de la manière la plus sacrilège le nom du Tout-Puissant, il veut dire la puissance du mal, l'ange déchu, Satan. Sa bouche est la gueule fétide de l’enfer et son pouvoir est essentiellement rejeté. La lutte contre l’État terroriste national-socialiste doit certainement être menée par des moyens rationnels ; mais quiconque doute encore aujourd’hui de l’existence réelle des puissances démoniaques n’a en aucun cas compris le contexte métaphysique de cette guerre. Derrière le concret, derrière ce qui est perceptible par les sens, derrière toutes les considérations logiques objectives, se cache l'irrationnel, c'est-à-dire le combat contre le démon, contre le messager de l'Antéchrist.

Freiheit der Rede, Freiheit des Bekenntnisses, Schutz des einzelnen Bürgers vor der Willkür verbrecherischer Gewaltstaaten, das sind die Grundlagen des neuen Europa.
 
 
La liberté d’expression, la liberté de croyance, la protection des citoyens contre l’arbitraire des États criminels et violents, tels sont les fondements de la nouvelle Europe.


Die Weiße Rose - La Rose Blanche

La Fondation La Rose Blanche a pour mission statutaire de commémorer la résistance de la Rose Blanche contre la dictature nationale-socialiste, d'honorer ses protagonistes et de promouvoir le courage civique, la responsabilité personnelle et la conscience démocratique. Cela implique également de prendre position contre l’extrémisme, l’antisémitisme et le racisme.

La Rose Blanche est un groupe d'amis réunis autour des étudiants Hans Scholl et Alexander Schmorell. À partir de l’été 1942, ils publient à Munich des tracts contre la dictature nazie et appellent à la fin de la guerre. Des aides rejoignent le groupe de résistance dans d’autres villes allemandes. Fin 1942, le professeur Kurt Huber s’associe à eux. À partir de février 1943, sept résistants du groupe La Rose Blanche sont condamnés à mort par la justice nazie et exécutés. Parmi eux, Sophie et Hans Scholl. Une soixantaine d’amis militants sont accusés dans plusieurs procès et certains d’entre eux sont condamnés à de longues peines de prison.

Aujourd’hui, la Rose Blanche est l’un des groupes de résistance allemands les plus connus. A l'époque de la terreur nazie, ils faisaient appel à des motivations humanistes à la responsabilité de chaque individu pour la liberté et la justice.

Fondation Weiße Rose Stiftung e.V.
Ludwig-Maximilians-Universität
Geschwister-Scholl-Platz 1
D- 80539 München

Ouvrages recommandés :

Réponse à Hitler

Plaidoirie pour une cause gagnée

dimanche 4 février 2024

Les religions ne sont que des étapes de la pensée symbolique…

Par Dominique Blumenstihl-Roth

 

« Les religions sont nées de la pensée symbolique, étape de première instance issu de l'effort intellectuel dans l'acte de comprendre qui ne constitue pas l'aboutissement résolutif de la pensée. De même la raison raisonnante n'est qu'une approche du réel qui n'englobe pas sa totalité. La délivrance de l'esprit ne peut s'opérer que par une montée décisive d'ordre exégétique par quoi les symbolismes sont élucidés, les archétypes dégagés et le code du réel mis à jour. »



1. Voir au travers du tamis

Stéphane Lupasco écrit : « les potentialités doivent être actualisées ». Il en est de même pour l'initié. Il s'informe, surveille les forces en action. Il épie, « traque » la volonté de l'Invisible telle qu'elle s'exprime au travers des symboles et la décode pour mieux s'adapter au réel. Il actualise son propos et dépose sa synthèse. L'initié moderne connaît la force du symbolisme. Il voit le sens des événements en criblant le réel visible au travers du tamis, de la grille de lecture dont il est lui-même une expression. Il maîtrise la portée des pensées, des paroles, des actes symboliques, précisément parce qu'il sait que le symbole correspond à l'étape transitoire où l'information se présente sous deux aspects dialectiques suite à la bifurcation structurelle propre à la couche III de tout cycle.

 

2. Le lieu propice au symbolisme

L'alphabet hébreu signale le lieu propice à la pensée symbolique, au travers de la lettre Têt : elle est le symbole du symbole. Neuvième lettre de l'Alphabet, elle se situe au seuil de la projection dans le réalisme qui commence par Caf. La lettre Têt, initiale du mot Tal, ouvre sur l'avenir et l'irradie de tout ce dont les lettres précédentes l'ont informée et nourrie. La lettre Têt, en ce sens, correspond à la bouche d'une fontaine, comme on en voit sur les places des villages quand elles distribuent l'eau issu d'une source ou d'une citerne.

 

3. La pensée ne peut stagner dans les séductions colorées et volatiles du symbolisme.
 Le symbolisme n'est qu'une étape menant à la Révélation. Dès lors, l'initié moderne, détaché de la religiosité, n'entre pas dans une tradition, mais les épouse toutes et surmonte leur niveau de compréhension par une actualisation intégrant les découvertes des sciences. Expert du Code et de la grille de lecture ouvrant les symbolismes particuliers, il-elle en dégage le cœur de synthèse. C'est la performance réalisée par Dominique Aubier. Initiée instruite du Code, elle a œuvré au degré maximal du dévoilement et s'en fait le porte-parole, ajoutant ses propres découvertes à l'édifice. 
 
4. car la lampe est obligation…
L'initié n'est pas répétiteur, mais constructeur apportant non pas redite ou opinion, mais éclaircissement nouveau par une mise au clair qui dépasse les apports de ses prédécesseurs. Il doit être « lumière sur lumière » selon la sourate coranique 24 verset 35, en ce sens, il doit être lampe, « car la lampe est obligation (mitsva) et la Torah lumière (or). » (cf : Raphaël Draï, La Traversée du désert, éd. Fayard, p. 167.)
 Raison pour laquelle Don Quichotte ayant affaire à d'obscurs inquisiteurs pendant son séjour à l'auberge (Don Quichotte, fin chapitre 16, tome I) reçoit de cette adversité (sanctifiante) un coup de lampe sur la tête lui faisant « pousser au front deux bosses assez grosses » — allusion à Moïse — et se voit aspergé d'huile, métaphore de l'onction messianique, autrement dit : l'huile de la pensée exégétique libérant le sens des symboles.
En homme de cœur, Don Quichotte ne parle (DaBaR) qu'avec cœur (LeB) pour en enseigner les lois. C'est-à-dire que sa Parole enseigne (Lamed) les lois de la structure (Beth) : il est en soi don du Verbe, suspendu à « la descente du Verbe ». « Et pour que la descente du Verbe se fasse, il faut qu'aucune résistance ne freine la pluie de ses étincelles se déversant sur nous, qu'aucune dérivation n'en modifie l'épandage. Tout doit passer par les intermédiaires naturels, qui vont de l'Émetteur primordial jusqu'au livre le plus abouti qui démarque l'avancée la plus précise de l'investiture humaine » (Citation : Dominique Aubier).
 
Livres et films de Dominique Aubier :
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jeudi 25 janvier 2024

Le secret de la Rosée et du Talit par Dominique Blumenstihl-Roth

Le secret de la Rosée, le secret du Talit

par Dominique Blumenstihl-Roth

 

Don Quichotte, quoique chevalier extrêmement pudique et toujours fidèle à Dulcinea, ne semble nullement offusqué par les filles de joie qui hantent les hôtelleries où il s'arrête. Il n'exprime aucun jugement à leur endroit et se laisse volontiers nourrir par la Molinera, puis adouber par elle et la Tolosa. Plus tard, quand Maritornes  l'invite à tendre sa main à hauteur d'une fenêtre entrouverte, il est charmé de l'initiative. Confiant, il tente d'attraper la main de la coquine. Elle se dérobe et lui joue au mauvais tour en ce qu'elle lui attache le poignet au verrou de la porte du grenier (don Quichotte, chap. 18, tome 1, éd. Garnier p. 439-440). Le piège se referme. Pour avoir cédé aux appels de la pécheresse, il reste suspendu par le bras dans l'attente d'une délivrance, et il a beau s'étirer, il ne parvient pas à toucher terre. Cependant, sans jamais accuser la jeune femme aux mœurs douteuses, il prend son mal en patience. En cela, la leçon de Don Quichotte est exemplaire, indiquant que la libération viendra en son temps, au lever du jour, au commencement du cycle nouveau. C'est-à-dire à l'instant où la rosée se lève, comme l'indique le verset Isaïe 26-19 : « La rosée sur vous est une rosée de lumière. » Lumière éclaircissant le symbole et donnant le sens fondé sur le code qui est à son initiale. Aussi, décrochons Don Quichotte, et laissons monter la Rosée.


1. Tal : la rosée à l'origine du Talit

Ce verset, lu au sens littéral est mystérieux. « Ki Tal Oroth Taleka ». Ce qui est de toute évidence un pléonasme : « La rosée (du matin) est une rosée… » Quel besoin est-il de préciser que la rosée est du matin, quand tout le monde sait qu'elle apparaît le matin ? Et à quoi bon nous dire que la rosée est une rosée, à moins de soliloquer, comme Gertrud Stein, pour qui « eine Rose ist eine Rose ». En quoi cette redondance méritait-elle d'être canonisée par les sages écrivains de la Torah ? 

C'est qu'au-delà du littéral, le verset demande à être étendu et déployé. La parole doit s'ouvrir : ici, elle se comprime en un minimum expressif se limitant à un nombre restreint de lettres (11) codantes. L'hébreu compacte un maximum de sens en un minimum de signes, livrant leur intelligibilité à qui se dotera des clés de lecture ouvrant le sens. Dès lors, chercher les mots, les racines, les inclusions sémantiques et les sous-entendus subliminaux qui nourrissent l'esprit alors que l'œil n'aura vu qu'une compression d'informations centrées sur un noyau… atomique.

A regarder de près, on s'aperçoit que ce verset dit exactement : « La rosée sur vous est une rosée de lumière… », car le mot lumière Aor se trouve à l'intérieur du mot Oroth (Alef, Vav, Resch, Tav) et fait donc partie intégrante du texte sur quoi la traduction ne peut faire l'impasse. L'hébreu inclut la lumière (Aor) dans le concept du matin (Oroth), signifiant que le matin est nécessairement le moment lumineux d'ouverture cyclique. Toutes choses inclusives en un seul mot. Moïse Schem Tob de Leon, l'auteur du Zohar ne s'y est pas trompé, pour qui ce verset signifie « la rosée qui tombe sur vous est une rosée de lumière ». Il tire la lumière de ce qu'elle est présente dans le mot Oroth. La Bible du Rabbinat (traduction Zadock Khan), quant à elle, traduit : « Oui, pareille à la rosée du matin est la rosée… » laissant le sous-entendu non explicité, (le traducteur n'est pas missionné pour expliquer, laissant cette tâche aux exégètes et commentateurs). La répétition du mot Tal appuie en redoublement sur l'importance du concept de la rosée, qui représente la grâce divine qui se dépose sur terre à chaque début cyclique de renouveau. Aussi le verset Isaïe 26-19 se poursuit en ces termes : « grâce à elle, la terre laisse échapper ses ombres… » Les anciennes obscurités des cycles antérieurs sont abolies, laissant se déposer la nouveauté du dépôt matinal, soutenu par l'effet lumineux du jour naissant. Le renouveau accompagne dès lors la rosée (Tal) en ouverture de nouveauté cyclique.


2. Le secret des Talit et leur sens

C'est pour se rappeler ce concept du renouveau par la lumière dissolvant les ténèbres que le fidèle de la tradition juive est sommé de porter le Talit, sorte de couverture aux quatre coins de laquelle est aménagée une ouverture à quoi on ajuste quatre fils redoublés dont l'un est teinté en bleu azur. Dans la Torah, le Talit est mis au point après l'épisode de la médisance des « explorateurs » que Moïse avait envoyé en reconnaissance avant d'entrer en Canaan et dont les compte-rendus avaient été catastrophiques sans raison.

Raphaël Draï a écrit de lumineuses pages à ce sujet dans son ouvrage La Traversée du Désert, éd. Fayard, 1989, p. 228. L'auteur y décrit la fabrication de ces franges traditionnelles et nous renseigne sur les différents fils composant les tresses fixées aux extrémités. En résumé, on fait passer 4 fils tirés directement du châle,  et quatre fils ajoutés. « Les deux fois quatre fils sont tressés entre eux de manière à ce qu'ils apparaissent à la fois reliés et distincts », précise l'auteur. 

Il convient de compléter la description technique de cet ornement, et de dépasser la lecture psychologique qu'en réalise le chercheur. En effet, les deux origines distinctes des fils évoquent — c'est là mon commentaire et non celui de Raphaël Draï — évoquent deux sources distinctes de la pensée, l'une indirecte par le faisceau aménagé, et l'autre, directe, tirée du tissus même du châle. Leur tressage évoque l'évocation des échanges latéraux interhémisphériques, progressant vers leur union progressive en niveaux d'organisation. Cependant une partie des faisceaux (Tsitsit) seulement est tressée (un tiers) tandis que les autres faisceaux restent libres et fluorescents. Images de la conduction directe continue de l'information non compromise avec les effets de dualité. « Chaque frange doit être tressée en y faisant 5 nœuds, doubles, ménageant ainsi quatre intervalles ». Intervalles signalant les quatre niveaux de la formule kabbalistique PaRdES. « Le nœud est symbolique de l'union consentie », écrit Raphaël Draï, songeant au nœud sacré de l'union maritale. Les 5 nœuds des Titsit ne signifient pas 5 unions maritales successives, mais 5 marquages ouvrant sur 4 étapes résolutoires des niveaux repérables sur l'Alphabet hébreu. On peut ainsi présenter la cordelette à côté de l'Alphabet dressé en forme de Y et repérer l'endroit des nœuds : un nœud tout au départ avant l'Aleph, un nœud à la hauteur du Dalet, un nœud à la hauteur du Yod, un nœud en Tzadé et un nœud terminal en Tav. Les intervalles sont remplis par les lettres intermédiaires entre ces balises. Ce rapprochement entre le symbole des Tsitsit et l'édifice des lettres de l'Alphabet hébreu n'a pas, à ma connaissance été réalisé par les commentateurs. S'il l'avait été, je pense que l'immense talmudiste qu'était Raphaël Draï en aurait parlé dans le chapitre qu'il consacre aux Tsitsit (p. 238). Le chercheur en donne une lecture psychologique qui ne perce pas le sens ontologique : ce n'est pas sur une lecture psychanalytique que Moïse pensa à inventer ce vêtement, mais sur une inspiration exclusivement lettrique, donc sinaïtique.

En effet, toute la conception des franges ressortit d'un approfondissement de la leçon du Buisson Ardent, complétée par les épreuves vécues dans le désert. « après avoir introduit les quatre fils à l'extrémité du vêtement, on les attache par deux nœuds, on fait d'abord 7 tours au fil le plus long, appelé « serviteur ». [C'est de toute évidence le fil du sens, « serviteur » de l'ensemble de la structure ]. « On refait deux nœuds, puis 8 tours, deux nœuds puis 11 tours, et enfin deux nœuds, puis 13 tours et deux nœuds, le tout sur 1 tiers de la frange, le reste doit ensuite demeurer libre. » Au total, 39 tours des franges, 39 étant la valeur numérique de Tal. Précision du Choulh'ane Aroukh abrégé, version bilingue, tome I, p. 41, cité par Raphaël Draï, p. 231) : si l'un des quatre fils d'une frange est rompu, mais que les fils restant permettent encore de faire une bouche, le tilsit tout entier est valable. Si 3 fils sont rompus et ne permettent pas de faire une boucle, il n'est plus valable, même si le fil restant paraît résistant. L'explication du chercheur à cet égard en est que « la symbolique des tilsit n'est pas celle de la puissance individuelle, mais de la force issue de la conjonction. » Le talmudiste a raison, cependant il s'impose de préciser que la symbolique des franges, d'un point de vue initiatique, dépasse le point de vue sociologique et concerne avant tout la force de l'unité trilitère, dont la solidité provient du tressage de trois en une intrication des niveaux d'organisation fermement édifiés construisant une structure. Trois niveaux sur quatre suffisent à créer une structure solide, le quatrième étant celui du sens, de la compréhension qu'il faut en avoir.

Le nombre les fils (8), ajouté à celui des nœuds (5), additionné à la valeur numérique du mot tsitsit (600) donne 613, autrement dit le nombre des préceptes négatifs et positifs évoqués dans la Torah. Le chercheur s'interroge (p. 232) pourquoi ne sont décomptés que les nœuds et non les intervalles. Il émet l'hypothèse que « la symbolique des tilsit est surtout celle de l'union et de la conjonction, la distance séparatrice n'étant qu'un effet temporaire et transitoire de la première. » A mon sens, si la tradition ne compte que les nœuds dans cette addition aboutissant à 613 et laisse de côté les 39 tours d'intervalle, c'est parce que 39 écrit le mot Tal, la rosée, qui est en soi un précepte de la Torah, formant unité en tant que tel par un codage établi sur la valeur du 3. Le 9, carré de 3, évoque la lettre Tet, symbole de la fonction symbolique, chargée ici de la puissance du 3, Guimel, désignant la force des choses matérielles.

Il est certain que le Talit, en tant que symbole, est chargé d'opérer un acte mémoriel devant s'inscrire dans la conscience, un rappel permanent des critères initiatiques représentés sur la tenue vestimentaire et ses ornements, tous conçus selon les clés de la systémique alphabétique : redoublement (double faisceaux), quatre fils (quatre niveaux d'organisation) aux quatre coins, entrecroisés et tressés (en échange latéral) formant unité, en quatre mouvements (trois évocations du chiffre 4) séparés par cinq nœuds (évolution sur cinq couches) avant ouverture des faisceaux libérés sur le cycle nouveau.

Ce nouveau cycle nous le vivons en plein, dès lors que le sens même de ce symbole est explicité sur base des clés archétypales et alphabétiques de l'hébreu qui est la source même de ce symbole.



Bibliographie :

Raphaël Draï, La Sortie d'Egypte, la Traversée du Désert, éd. Flammarion

Dominique Aubier :

    — Le Principe du Langage ou l'Alphabet hébraïque, éd. M.L.L.

    Victoire pour Don Quichotte, éd. M.L.L.

    Plaidoyer pour une cause gagnée, éd. M.L.L.

    Les secrets de l'Alphabet hébreu (série de 3 films)

    La Face cachée du Cerveau (le code des archétypes), éd. M.L.L.


jeudi 4 janvier 2024

Pour les vrais amis de Don Quichotte… par Dominique Blumenstihl-Roth

Pour commencer l'année 2024, pour les vrais amis de Don Quichotte : Paru dans la revue IN VIVO ARTS :

Dominique BLUMENSTIHL-ROTH : 

Ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés…

(Cette citation est de Cervantès)


 

RÉSUMÉ

L’étude explore l’investissement animalier de la scène théâtrale au travers de trois grands auteurs du Siècle d’Or espagnol, qui se sont appréciés... et détestés : Cervantes — Don Quichotte — où chien, chat, cheval, cochons, lions et mulets portent un symbolisme exprimant les niveaux sémiologiques de l’expression ; Francisco Quevedo, auteur de Cabildo o la Consultacìon de los Gatos (la Consultation des chats), théâtre animalier anthropologique où les chats apprennent à imiter l’espèce humaine, miauler assez prétentieusement afin de réussir à dire Mio, c’est-à-dire moi ; Felix Lope de Vega, familier de l’Inquisition, que j'identifie comme l'inventeur du faux Quichotte signé Avellaneda et auteur d’un impitoyable Gatomaquia visant à réduire Cervantes au travers d’une mascarade cinglante. Partant de la physique quantique, l’article ouvre le coffre d’où s’échappe un bestiaire théâtral qui pourrait effaroucher le lecteur, car comme dit Cervantes : « ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés »...

MOTS-CLÉS : Cervantes, Quichotte, Quevedo, Lope de Vega, Avellaneda, Marranes.

 

Those who play with cats should expect to be scratched 

ABSTRACT

The study proposes to explore the animal investment of the theatrical scene through three great authors of the Spanish Golden Age, who appreciated and hated each other : Cervantes — Don Quixote — where dogs,cats, horses, pigs, lions and mules carry a symbolism expressing the semiological levels of expression ; Francisco Quevedo, author of Cabildo o la Consultacìon de los Gatos (the Consultation of the Cats), anthropological animal theater where cats learn to imitate the human species, meowing in order to succeed in saying Mio, that is to say me ; Felix Lope de Vega, close to the Inquisition, who wrote the fake Quixote signed Avellaneda and author of a ruthless Gatomaquia aimed at reducing Cervantes through a scathing masquerade. Starting from quantum physics, the studyopens the trunk from which escapes a theatrical bestiary which could well frighten the reader, because as Cervantes says : "those who play with cats must expect to be scratched"...

KEYWORDS : Cervantes, Quixote, Quevedo, Lope de Vega, Avellaneda, Marranos.

vendredi 8 décembre 2023

Exégèse biblique : "Ils partirent de la montagne de Dieu un chemin de trois jours" (Nombres, X-3)

Exégèse d'un verset biblique :

« Ils partirent de la montagne de Dieu un chemin de trois jours » (Nombres, X-3), par D. Blumenstihl-Roth


Tandis que Don Quichotte fuit sa maison et s'en va sur la route qui le mène au Toboso, la résonance biblique ne laisse de rappeler la thématique du départ, de la sortie. La longue errance du chevalier ne semble pas livrée au hasard. Il a prévu ses étapes, son itinéraire, tout en restant ouvert à ce que l'impromptu lui réserve. Quitter, partir, fuir… mots-clé qui convoquent le verset 3 du chapitre X des Nombres. Il s'est présenté à l'évidence au moment où nos deux compagnons s'engagent sur le chemin de la cité où réside Dulcinée : « Ils partirent de la montagne de Dieu un chemin de trois jours… » Bien sûr, d'autres versets bibliques auraient pu tout aussi bien répondre à l'appel de ces mots, mais qu'y puis-je si c'est ce verset-là qui s'est présenté lorsque j'ai ouvert « au hasard » l'épaisse Torah bilingue qui se trouve en permanence sur ma table de travail ? Serait-ce un effet du « vouloir impénétrable des destins » ?

 Selon les talmudistes qui ont scruté depuis des millénaires jusqu'à la moindre molécule d'encre ayant servi à écrire la Bible, ce verset signifie « que les enfants d'Israël ont fui la montagne du Sinaï comme un enfant qui s'enfuit de l'école, après avoir trop appris… »

 N'est-ce pas la situation du Quichotte qui fuit sa maison, après avoir lu trop de livres ? Il quitte sa bibliothèque, se sépare du monde de l'écrit pour entrer dans le monde de l'action. Sa connaissance, son savoir sont dans sa tête, et sans tarder, il s'en va, ayant tout appris. A-t-il « trop appris » au point qu'un excès de connaissance engendre la folie ?

Le commentaire des talmudistes selon quoi les enfants d'Israël seraient comme des écoliers fuyant l'école après avoir « trop appris » ne nous explique pas en quoi consisterait l'excès provoquant la fuite. De quel trop plein parle-t-il ? Une révélation débordante qui dépasserait le contenant disponible ? Le talmudiste Yosef Rozin complète cet avis (dans Tsafnat Paneah) : « Ils partirent de la montagne de Dieu un chemin de trois jours… "comme un enfant qui s'enfuit de l'école, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas voulu apprendre les lettres de la Torah comme des entités séparées, mais ont préféré (lire et étudier) les mots entiers. » Il me semble que R. Rozin a placé la flèche au cœur de la cible. Il met en cause la méthode de lecture, débat qui traverse aujourd'hui encore le monde de l'éducation, singulièrement en France où, depuis des décennies les experts de la pédagogie s'affrontent pour déterminer la meilleure méthode d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Terrain de dispute que l'on retrouve dans le Quichotte où les choses ne sont pas exactement ce qu'elles paraissent et où les mots demandent à être lus tout autrement que selon les règles de la logique linéaire. Le commentaire de Yosef Rozin pourrait s'appliquer à plein lorsqu'éclate la violente dispute entre le Quichotte et le barbier venu récupérer ce qui lui appartient. La querelle porte sur le plat à barbe, elle occupe la fin du chapitre 44 et une grande partie du chapitre 45 volume I.

Lire un mot comme il entend être compris, selon quelle grille de lecture ? 


1. Méthode lettrique ou méthode dite « globale » ? 

Ou une sorte de mixture entre les deux afin de satisfaire tout le monde, sauf l'esprit de l'apprenti ? Faut-il privilégier les lettres, les syllabes où les mots ? On a vu se dégrader l'orthographe des jeunes lorsque la méthode globale fut instituée, on ne sait trop sur quel critère scientifique ni quelle science devant favoriser l'accès au langage. Les dyslexies (fabriquées) ont envahi les écoles primaires, l'esprit des jeunes lecteurs ne parvenant pas à reconnaître l'ordre des lettres composant les syllabes enseignées comme des blocs unitaires, au détriment du sens qui n'est perceptible qu'au travers de l'exacte écriture des lettres dans les mots. Une confusion générale s'est installée, année après année, passant du primaire au secondaire, puis au lycée jusqu'à l'université où l'on voit des générations d'étudiants écrivant une langue quasi phonétique. Appauvrissement de la précision, inquiétante dérivation du sens ou comique confusion d'esprit agrémentant le répertoire des « perles » publiées par les correcteurs d'examens. L'amusement mis à part, on constate que l'intelligibilité du réel s'en trouve amoindrie selon des approximations globalisantes.

Le Talmud a tôt repéré cette erreur qui se produisit… il y a 3000 ans au Sinaï. Beau rappel de l'Histoire. Le peuple a voulu connaître les mots, la narration, mais non les lettres. Il a saisi « en gros » le global le plus vague et incertain, arraché à l'emporte-pièce, et non les composantes exactes de la Révélation. Dominique Aubier commente ce passage : « ils partirent de la montagne un chemin de trois jours ; les 3 jours signalent un cycle à demi parcouru. Le cycle entier aurait voulu que 6 jours se passent, conformément au modèle de la Création que restitue le modèle cortical. Cela signifie qu'ils en étaient à la première instance du cycle ( les 3 premières couches de l'unité, en « phase Bip »), d'une compréhension encore inachevée. Mais qui créa l'illusion, le sentiment d'avoir saisi la totalité. Ils crurent que la leçon était terminée, tandis qu'ils ne venaient que d'en vivre les trois premières occurrences, étagées sur 3 couches, que le Texte dénomme « jour ». L'humanité reçut au Sinaï, et du Sinaï, la fulgurance du don divin de la Parole révélée, qui exigeait une patience plus solide, un temps d'expansion consolidé en deuxième instance afin d'en inscrire la totalité dans le marbre. »


2. Le son du Sinaï

Emmanuel Lévinas parle de la « faillite de la transcendance ». Sans doute a-t-il raison par cette formule taillée sous la lame de son intelligence acérée… qui recouvre surtout l'appréhension du penseur devant un événement auquel il ne remédie pas. Car ce n'est pas la transcendance qui a failli, mais l'esprit de l'homme qui ne sut y accéder ; et plutôt que dresser le constat du désastre il semble plus urgent d'identifier l'erreur et proposer une réparation. Un « tikoun ». Oui, il eut fallu persévérer, entrer en seconde phase d'attention, entrer dans les 3 « jours » suivants, monter vers les couches plus hautes de la structure où le sens des lettres vues s'extériorise des mots entendus et s'affine jusque dans le tracé de leurs glyphes dont l'explication attendait d'être reçue. Mais « ils partirent de la montagne… », cette montagne du sens où le Verbe se donne pour être vu. Encore faut-il que les yeux soient ouvert et que la négation ne vienne obturer les perceptions sensibles. Ce fut le cas, surprenant et pathétique, de Sigmund Freud qui, dans un délire insurrectionnel contre Moïse, affirma que « Le Sinaï n'existe pas ». Faut-il voir en cela un défi de la science lancé à l'encontre de la « montagne de l'épée » ? Le psychanalyste a-t-il scruté, dans l'exemplaire de la Torah que lui avait offert son père à l'occasion de son anniversaire, comment s'écrivait le nom de la montagne qu'il se croyait en mesure de nier ?

סיני

Dans le mot Sinaï se trouvent deux Yod, double énergie qui confirme qu'elle vient à la fois du et par le Sinaï. La valeur numérique du nom est 130. Ce qui écrit le mot composé des lettres Qof Lamed. Qui signifie : léger, agile. Par extension : le son.

קל

Le son du Sinaï s'est laissé entendre, mais demeura partiellement incompris. Les efforts de Moïse n'ont pu pleinement en achever la pleine réception par le peuple. La lecture en demeura incertaine, du moins non menée à son terme, se contentant des phrases aux accents moralistes des commandements, mais ne pénétrant pas l'ontologie des lettres qui en écrivaient le codage. La méthode de lecture adoptée en affaiblit la teneur, autorise interprétations et opinions, détachée qu'elle est du système lettrique de soutènement. L'énergie même du Sinaï — double Yod de son nom — s'en trouve atténuée, la « montagne de l'épée », où l'épée est symbole du verbe, se réduisant dès lors à une colline quelconque couverte de pierres, qu'un absurde pourra nier au gré de ses fascinations personnelles.

Méthode qui continue de sévir. Qui réduit les lettres à n'être que des traces mnémoniques sans qu'il n'existe de système ligateur qui conduise au sens. La méthode globale visualise les mots, la méthode syllabique considère les unités syllabes, elles reposent toutes deux sur la captation synthétique d'une image composée dont les éléments lettriques internes ne sont pas intégrés en tant que porteurs de sens, mais comme des accessoires anecdotiques. Elles fonctionnent sur la mémoire « photographique » et non sur l'acuité sémiologique des composantes lettriques. Cependant, l'esprit humain est ainsi fait qu'il exige du sens. Le lui refuser, au nom de la production visuelle d'une image de mot revient à le priver d'entrer dans l'univers du sens que recèlent les lettres. Lettres essentielles à la structure, à l'organisatoire systémique des mots.


3. L'Alphabet hébraïque : « une rêverie poétique » ? 

Dans sa réflexion sur l'écriture et la parole, Marc-Alain Ouaknin se demande si la lecture des lettres ne serait pas une « rêverie poétique ». Quoi ? La révélation des Lettres du Sinaï ne serait qu'une rêverie ? La question convient peut-être à l'aimable philosophe de l'incertain, toujours en droit de douter, mais venant d'un rabbin formé à une rigoureuse école, elle ne saurait pas même être posée, en ce qu'elle présuppose la négation du Sinaï et donc ce pourquoi des millions furent assassinés. La lecture des lettres serait une rêverie ? Moïse aurait poétiquement rêvé des Lettres ? Toute la Révélation sinaïtique et les millénaires de transmission de la haute leçon révélatoire ne seraient qu'affaire de songe ? Auschwitz, où le meurtre perpétré précisément en négation des Lettres divines, n'aurait été que la mauvaise interprétation d'un rêve ?

Les inconséquences d'un esprit troublé ne sauraient faire école, et je garde cependant fraternellement confiance pour que l'auteur de ces lignes rectifie courageusement ces vagues à l'âme. Je ne doute pas que de belles clarifications verront le jour dans de futurs ouvrages. Aussi je mets cette malheureuse phrase sur le compte de l'extraordinaire difficulté qu'a l'auteur de vivre à la fois dans le dédire philosophique et le dire rabbinique. Concilier les deux ? Pas facile d'être « philorabbin ». Quant à la poétique, en aucun cas le poète ne « rêve » des Lettres mais il en a la vision la plus précise et colorée : Arthur Rimbaud recherche le sens des lettres, dans un langage dont il espère la venue. Ce langage déjà existe. Le rabbin confirme : « Dieu n'a-t-il pas écrit de Sa main, gravé, fixé Sa Parole ? Et ne l'a-t-il pas transmise dans un volume, dans un Livre, dans un système, dans sa totalité ? ». Cependant, le chercheur, à nouveau, se rétracte en ce qu'il n'envisage, dans sa question, que le volume, le Livre, le système, la totalité. Faut-il lui rappeler que le noyau atomique de la Torah réside dans les Lettres qui, une à une, en écrivent le métalangage et qu'il n'existe de Livre que par la puissance des lettres qui le composent ? 

Dieu a certes écrit « dans un Livre », mais il le fit lettre par lettre. Dieu a convoqué ces lettres, une à une, comme l'expose un célèbre passage du Zohar, en commençant par la dernière pour voir laquelle serait la mieux adaptée pour entamer Son Livre. La lettre Beth fut retenue, en ce qu'elle pose la structure pouvant recevoir l'énergie du point qui vint habiter son ventre, première lettre du premier mot « Bérechit », ouvrant le premier verset de Genèse. Dans la Torah, c'est toujours affaire de Lettres, depuis la première à la dernière, et en cela nulle « rêverie poétique » ne saurait emporter l'adhésion du Lecteur souscrivant à l'Alliance, celle-ci étant précisément un contrat passé avec le Verbe. Dans la Torah, les lettres de l'Alphabet construisent le sens. Croire que le mot ou que le volume préside est une inversion — c'est simplement mettre la charrue avant les bœufs.


4. La philosophie du « dédit »

Que signifie alors ce verset ? Que signifie son explication : « ils n'ont pas voulu apprendre les lettres de la Torah comme des entités séparées, mais ont préféré (lire et étudier) les mots entiers » ? M.A. Ouaknin estime, citant son maître « que les enfants d'Israël n'ont pas compris l'autrement qu'être s'énonce dans un dire (qui) doit aussi se dédire pour arracher l'autrement qu'être au dit où l'autrement qu'être se met déjà à ne signifier qu'un être autrement n'a pas été compris. » Et justement, je n'ai pas compris cet « autrement de l'autrement » car en toute modestie de mes capacités intellectuelles dont je mesure l'étroitesse, ce discours m'échappe, mon esprit n'accédant pas à des philogrobulisations de haute altitude. Je ne suis pas loin de rejoindre, du moins pour le cas précis, cette opinion d'un spécialiste de la physique quantique pour qui tout devient intelligible dès lors que l'on admet que « la philosophie constitue l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus ». « La lecture des lettres, poursuit le philosophe, signifie l'exigence de la simultanéité du dire et du dédire (ou du moins si la simultanéité est une trop grande exigence, la nécessité d'envisager ce dédire). »

 Je ne crois pas que la Parole de la Torah se dédise jamais de sa promesse, car il en découlerait la vanité de 5000 ans d'histoire, l'inutilité et la vacuité de l'Alliance : serait-elle posée sur un dire susceptible d'être dédit… par l'Eternel ? Faire philosophie du « dédit » signe un esprit incertain qui aligne le dire au même degré que son revers, construisant une équivalence qui réduit l'affirmation du Verbe sinaïtique au degré zéro de la Révélation : elle se dit et se dédit… finissant par s'anéantir. Comment cela ! Dieu se présenterait donc comme Je suis celui qui sera et, simultanément, se dédirait en disant Je ne suis pas… celui qui sera ou qui ne sera jamais ? S'accroche à ce trapèze chancelant tout acrobate qui désire se rompre les os. L'auteur poursuit : « La lecture des lettres exprime "la possibilité d'un arrachement à l'essence" qui va jusqu'à rechercher le non-lieu, car cet arrachement conteste le privilège inconditionnel de la question "où" ». Comment nous accorder à cette pensée tout à l'envers de la fonction même des lettres qui demandent à être lues afin que l'esprit puisse précisément toucher à leur essence, conduisant la conscience vers le Lieu. Rechercher le non-lieu, alors que les Lettres sont l'expression du Lieu ? S'il existe une contestation valable, et nous la disons ici, c'est de vouloir forcer les lettres à exprimer une négation du Lieu alors qu'elles en sont l'émanation.

Comment adhérer à de tels montages intellectuels quand ils portent en eux la négation de la vocation même des Lettres, de la Parole ? Depuis des décennies une certaine mode pseudo-exégétique fondée en approche philo-psychanalytique ligote les Textes dans des impasses où se télescopent oui et non, dire et dédire d'un verbe double, voire bifide, disant à la fois une chose et son contraire, syndrome du « en même temps » qui viendrait conspuer l'Unique dire du Dieu Unique, sans pour autant parvenir, ni même rechercher le sens de l'écriture. Pour ce qui nous concerne, nous en resterons à considérer que YHVH est le nom de ce Dieu locuteur dont la parole est Une et les lettres l'expression même de cette pensée.


5. Faut-il dialoguer avec la négation ?

Génération de penseurs touchés par ce syndrome qu'évoquait Rabbi Rozyn : ils ont quitté l'école trop tôt, et n'ont pas voulu apprendre les lettres de la Torah comme des entités séparées, mais ont préféré (lire et étudier) les mots entiers, ce qui les a amené à tout relativiser, à dédire ce qui a pu être dit, rien n'étant pour eux entièrement gravé dans l'esprit. Ce sont les résidents du « non-lieu » dont parle M.A. Ouaknin, là où le Verbe exilé par le dédire ne peut trouver le site où implanter sa résidence. 

Cette école de philosophie a fait ses émules. Nous les voyons prendre possession des lieux de pouvoir, dans tous les domaines. Esprits pour qui tout est admissible, la chose et son contraire à la fois, et le contraire se justifiant par l'équivoque doctrinale selon laquelle tout serait perpétuellement réversible. Artifices intellectuels d'une pensée errante, faite d'amoncellements cognitifs qui s'annihilent les uns les autres jusqu'à l'asphyxie : et l'on voit surgir, chez les modernes théoriciens d'obscures remises en cause aboutissant à de dramatiques négations issues de ses propres rangs. Que penser de cette néo-école qui prétend que « le messie est fait pour ne pas venir » ? Faut-il discuter ce propos ?

La discussion talmudique, dite « mahloquet » préconise le débat d'idée. Faut-il pour autant accepter le débat avec l'interlocuteur qui sous-entend l'anéantissement de votre espérance ? Les opinions sont toutes respectables et ont toutes droit de citer, le débat talmudique est ouvert, il ne cherche point à convaincre ou persuader. Il autorise l'exposition des divergences dont chacun est prié d'assumer la responsabilité face à la chose dite. Dès lors que penser de ce précepte troublant dont je redoute qu'il fasse des émules : « voir le nom de quatre lettres (YHVH), c'est s'abîmer dans le néant, pénétrer dans une néantisation du savoir, faire l'expérience du vide… », quand tout au contraire le nom de quatre lettres exprime la sortie de l'énergie Yod hors du néant créant ainsi le réel structuré en polarités (Hé) et ouvrant le cycle de la Création ?

 Ce n'est pas faire l'expérience du vide que sonder les quatre lettres divines, c'est au contraire s'emplir de la totalité du Code des lettres promulguant la Création.

Pour étayer sa thèse du « messie-fait-pour-ne-pas-venir », le penseur en appelle curieusement au soutien de Rabbi Nahman de Braslav (1772-1811). Talmudiste solidement ancré dans la tradition, ce dernier écrit fort modestement que ses propres enseignements « ne sont que des introductions », en ce sens qu'il a pleine conscience d'agir en phase préparatoire… à la venue messianique dont il ne doute à aucun moment. Il est auteur en phase « Bip », et c'est une erreur de voir dans son travail préparatoire une attestation de non-venue : bien au contraire, chez lui, aucune tergiversation, aucun dédit ne viennent altérer son œuvre pleinement tournée vers cet avènement. En aucun cas, Rabbi Nahman ne porte soutien au penseur pour qui « le messie permet au temps de se différer continuellement, d'engendrer le temps. Il est de l'ordre du retrait (Tsimtsoum) où l'espace vide n'est pas fait pour être cicatrisé ». Aucun talmudiste, aucun kabbaliste ne se range à ce que le messie serait dans le « différer continuellement ». Déclaration difficilement acceptable, émanant d'un élève de trois jours, qui renvoie le messianisme dans le néant d'un avenir perpétuellement en fuite… tandis que le vieux maître du Talmud sait que le futur tire vers lui le présent, et que la rencontre se fera, entre l'espérance et l'occurrence, car telle est la promesse, telle est l'accomplissement nécessaire qui se dresse au bout du chemin, au bout des 6 jours menant au grand Chabbat et au retour de la Chékhina.

Tous les talmudistes, tous les kabbalistes ont travaillé à l'avènement de l'ère messianique, à la réparation du préjudice infligé par le départ anticipé du Sinaï. Nous les rejoignons afin de participer à la cicatrisation et ne point retarder l'accomplissement promis. La terre promise ne recule pas indéfiniment. Les temps messianiques sont déjà à l'œuvre…